Lettre d´information Juillet/Août 2010 - Suite

Critique du rapport présenté à l’Académie Nationale de Médecine : Un nouvel outil sécuritaire : l’Académie Nationale de Médecine ! (SUITE)

Il est quand même surprenant qu’aucun de ceux qui ont écrit, lu et voté ce rapport, ne se soit questionné sur cet amalgame entre champs médical et judiciaire, pourtant les personnes auditionnées auraient dû prévenir la docte assemblée de ce risque. Soit cela en dit long sur les rapports dans notre pays entre médecine et justice, soit nous avons de nouveau affaire ici aux effets engendrés par la violence sexuelle : la confusion. Celle-ci correspond au lien interhumain que véhiculent, compte tenu de leurs histoires infantiles traumatogènes, ces auteurs.

 

Ainsi, d’emblée ce rapport pèche par (ce qui est préférable à “prêche pour”) la confusion des genres qu’il engendre. La médecine psychiatrique entre directement au service de la justice dans son aspect le plus sécuritaire.

 

 

Cette critique majeure étant posée, que nous dit ce rapport ?

 

a) La première méthode de traitement de ces sujets qui est avancée est le traitement antihormonal. Le paragraphe représente un quart des signes de l’article. Or, nous savons que moins de 30% de ces sujets sont des indications (et mon chiffre est plus que large, on parle le plus souvent de 10%). Il est bien sûr précisé les risques au long cours qu’entraînent ces traitements et qui sont un lourd tribut que paye l’auteur et qui viendra en partie grever son avenir somatique.Il est cependant précisé qu’un traitement de cet ordre doit toujours être associé à une psychothérapie.

 

b) Les psychothérapies sont de loin les méthodes les plus utilisées pour éviter une reprise d’agirs sexuels pathologiques pouvant ouvrir, secondairement, sur une pénalisation. Le paragraphe qui leur est consacré est plus de la moitié moindre que pour le traitement antihormonal ! Encore convient-il de préciser que, parmi les psychothérapies utilisées en France, ce sont celles référencées à l´approche psychodynamique qui sont les plus répandues. Le paragraphe qui leur est réservé compte 383 signes (3 lignes) sur les quelques 3000 que compte le paragraphe et 25000 pour le rapport. Les affirmations péremptoires visant à l’inexistence des évaluations sont issues d’un ouvrage très récent paru en Français, celui de Glen O. Gabbar (éd. Masson), qui passe en revue, dans un souci didactique, les techniques psychodynamiques. Aucun des praticiens du soin, des chercheurs français qui, depuis plus de vingt ans développent des dispositifs, des procédures spécifiques et des techniques basées sur l’approche psychodynamique auprès des auteurs de violences sexuelles et cela avec des évaluations cliniques n’est cité. Seules les TCC sont mises en avant. Comment comprendre une telle carence de cet organisme académique ?

 

c) L’évaluation de la dangerosité, paragraphe plus important en nombre de signes que les psychothérapies, fait l’apologie des méthodes actuarielles même s’il est précisé que les informations fournies sont imparfaites. Sont données quelques indications sur les échelles existantes, cela cependant sans préciser que ce type d’échelle n´est valide que dans une culture donnée et que leur étalonnage en population française n’est, pour la plupart, pas encore réalisée.

 

d) Vient ensuite un très long paragraphe sur les résultats des traitements s’appuyant particulièrement sur des méta-analyses qui jamais ne prennent en compte les travaux d’auteurs français, jusqu’à affirmer que « parmi les psychothérapies, seules les méthodes cognitives-comportementales ont montré un effet. » Et, ce copieux paragraphe de se conclure sur une petite ritournelle que "l’effet de la psychothérapie sur la récidive n’est pas démontré."  Devrions-nous comprendre que le seul « vrai » traitement médical de la récidive, pour les Sages de l‘Académie de Médecine, est le traitement antihormonal ?

 

Ce rapport se conclut sur trois recommandations hautement médicales, pour prévenir médicalement la récidive, il serait recommandé :

1)    d’améliorer la pratique des expertises en dangerosité des criminels sexuels en enseignant et en diffusant les méthodes actuarielles. Informer les magistrats et le public en général, du caractère très imparfait des prévisions » ;

2)    de définir « une politique qui ne soit pas uniquement basée sur des moyens médicaux » ;

3)    de « mettre en place des actions incitatives de recherches [dont la France est] absolument sous-dotée

 

Quelles conclusions tirer d’un tel rapport ?

 

1) il ne tient compte que d’une manière très partiale de la littérature internationale disponible, excluant celle des équipes françaises (sauf pour les traitements antihormonaux). Seule ce qui relève de l’EBM figure sur la carte. Quid dans ces conditions d’une analyse réelle de ce qui se pratique sur le terrain, de ce qui serait à améliorer, voire à modifier ou à encourager ? Pour autant il faut entendre le fort encouragement à la recherche. Mais là encore, à laquelle ?

 

2) Aucune référence n’est faite aux multiples dispositifs médico-socio-psychologiques qui sont mis en place par les soignants dans l’accompagnement des AVS. Quid de la nécessaire pluridisciplinarité dans celui-ci. Je me permets de rappeler à nos sages académiciens que, quoique non médical, actuellement le plus grand “réducteur” de la récidive s’appelle l’aménagement de la peine. Pour cela il est nécessaire que s’instaure un réel dialogue entre autorité judiciaire, pénitentiaire et médicale. C’est ici que la pluridisciplinarité doit jouer son rôle, avec le développement d’une intercontenance entre ces trois sphères. Un tel interétayage des cadres de prises en charge est actuellement admis comme étant une nécessité pour que l’on puisse espérer voire s’amenuiser le recours à une reprise d’agirs pathologiques. Serait-ce à cela que fait référence la deuxième recommandation ?

 

3) L’accent mis sur les traitements antihormonaux, l’absence d’efficacité des méthodes psychodynamiques et les outils actuariels donnent de nouveau l’image d’un auteur de violences sexuelles difficilement amendable et peu éducable. Ainsi, le premier point thérapeutique avec ces sujets, qui est de tenter de les déstigmatiser, est-il de nouveau battu en brèche. Le risque est de provoquer chez les soignants la quête de l’indice de dangerosité au détriment de la relation humaine.

 

4) Ainsi recommandant, ce rapport transforme le psychiatre en stricte auxiliaire de justice. C’est lui qui se trouve le garant médical d’une baisse de la récidive. Ne pourrait-on penser que se trouve tracé la voie de la responsabilité pénale du psychiatre (et plus largement du soignant) qui n’aurait pas su, pas pu utiliser à plein les méthodes actuarielles, que par ailleurs le rapport épingle comme « imparfaites ».

 

 

Au terme de ce rapport on ne peut que s’interroger : quand le psychiatre sera devenu un « criminologue au service de… », où sera le soin ? Qu’en restera t-il ? Est-ce ici ce que voulait la loi du 17 juin 1998 ? Non, elle permettait, pour des sujets qui n’en avaient pas encore pleinement les moyens d’entrer dans le soin. Cet esprit, où l’Humain était pris dans sa totalité, était considéré comme un sujet, se trouve dans ce rapport perdu, alors, et certainement à son corps académique défendant, revient sur le devant de la scène l’image d’un monstre dont il faut juguler les potentiels de destructivité.

 

André CIAVALDINI

    Mentions Légales    Crédits    Plan du site