éclairage analytique du film Martha Marcy May Marlène (Suite)

Ce que le réalisateur nous propose, c’est un canevas entremêlant minutieusement le passé au présent, soit le processus d’intégration puis d’extraction de Martha dans cette communauté par une incrustation progressive de flash-backs. La pertinence de ce procédé consiste à plonger le spectateur dans un certain état de confusion, d’incertitude quant à sa compréhension progressive de la trame de l’histoire, et en conséquence, d’une difficulté à opter pour une interprétation plutôt qu’une autre face à la complexité et à la perversion mises en scène. Cela permet au spectateur de construire sa compréhension des aventures de Martha, de saisir la densité et le rôle de chacun des personnages, ainsi que l’évolution de son positionnement à leur égard, au fur et à mesure que l’héroïne elle-même reconstruit cette temporalité, tente de se la ré-approprier. Ainsi, depuis sa fuite de la ferme à ses retrouvailles avec sa soeur aînée Lucy, nous suivons le cheminement et les errances psychologiques de Martha. Bénéficiant d’un cadre calme et bienveillant dans la maison de campagne de Lucy et son mari, la jeune fille va se trouver confrontée à l’après-coup du traumatisme, jusqu’alors dénié, requalifié, enkysté sous l’effet de l’emprise psychique du collectif sectaire et de son chef charismatique et pervers, Patrick.

 

Ce cheminement se dessine donc comme un canevas par lequel le motif d’un épisode présent renvoie, par association, à celui d’un épisode passé. Pourrait-on dire alors que, telles les deux faces de l’anneau de Moebius, les prémisses d’un processus thérapeutique, c’est à dire d’un travail de liaison subjectivant, s’étayent sur les réminiscences traumatiques, soit la reviviscence de la déliaison qui en fut l’agent effractant pour le sujet?

 

•    La séquence introductive du film s’ouvre sur une succession de scènes de vie quotidienne où la dimension collective, communautaire est d’emblée omniprésente. Aussi, le spectateur se trouve plongé dans une forme de position paradoxale, relativement déstabilisante, mettant peut-être ainsi en exergue le pouvoir du groupe face à l’un:
-    en effet, s’il se questionne quant à l’apparent défaut d’intimité en découvrant les chambres-dortoirs collectives, l’usage des mêmes assiettes aux deux services successifs du repas du soir, et ce, en apparente contradiction avec la bi-partition stéréotypée du groupe, selon le sexe de ses membres, aux moments du repas, du coucher, et des tâches à accomplir (mettre la table, couper du bois, réparer une clôture)
-    il n’en demeure pas moins que le silence, une forme de banalisation-acceptation de ces contradictions chez ses membres, arborant des visages apparemment sereins et emprunts d’une tendresse réciproque, distille une atmosphère qui met en difficulté, voire invite à suspendre, la faculté de juger, de se positionner clairement face à ce tableau de vie.

 

Le départ de Marcy May, au petit matin, sur la pointe des pieds, et la poursuite qui s’ensuit dans la forêt indique pourtant clairement qu’il y a une urgence, peut-être vitale, à fuir ce groupe. Lorsque l’un d’eux la retrouve attablée à un resto en bord de route, Martha semble pétrifiée, interdite face à lui, bien que le registre sur lequel il l’aborde demeure d’une apparente bienveillance à son égard (lui demande comment elle va, lui transmet que Patrick s’inquiète pour elle, ne la force pas clairement à revenir avec lui); bienveillance étrangement doublée d’une forme d’autorité coercitive (il termine la fin du repas de Martha, lui intime sèchement de ne pas rejeter la tendresse qu’il lui adresse, lui embrassant le front avant de partir, réaffirmant par là sa position de domination?).

 

•    Épilogue: la séquence finale donne à voir un lien fraternel apaisé après cette crise nocturne. Avant de se rendre dans un lieu de soin accompagnée par sa soeur et son beau-frère, Martha se baigne au lac qu’elle quitte précipitamment lorsqu’elle aperçoit un homme ressemblant à Patrick sur le bord de la rive. En route vers la clinique, tous trois s’interrogent en croisant un homme sur le bord de la route, comme sortant de nulle part…

 

L’interprétation reste ouverte quant au lien entre fantasme, hallucination et réalité de ce qui est donné à voir par le réalisateur sur ce dernier plan. L’épisode de décompensation, s’il en est, de Martha présage-t-il d’une entrée plus franche dans une psychose paranoïaque? Ou bien, ces mouvements psychiques paranoïdes sont-ils plutôt les signes d’une ré-appropriation subjective et d’une nouvelle rencontre avec l’objet, avec l’autre, qui se fonde sur un vécu de haine? Ou encore, Martha projette-t-elle sur son entourage la dimension hallucinatoire et paranoïde de ses troubles? Peut-on émettre l’hypothèse d’une forme de contagion d’un rapport de persécution au monde, de Martha à Lucy et son mari, au sortir de la proximité qu’ils ont partagé depuis son arrivée et suite aux récents comportements étranges et inquiétants qu’elle a manifesté?

 

•    En conclusion, nous nous proposons d’interroger le titre du film, « Martha Marcy May Marlene »

 

La longueur du titre, ainsi que l’allitération en « M » qui lie cette juxtaposition de prénoms sans autre unité apparente ne suggère-t-elle pas déjà la confusion à laquelle le spectateur va être confronté dans sa rencontre avec Martha et son histoire décousue?

 

Le parti pris du réalisateur de ne pas faire le choix d’un seul prénom pour intituler son oeuvre cinématographique chercherait-il à suggérer, non seulement l’évolution désubjectivante dont Martha fait l’objet au fur et à mesure de son intégration à la communauté sectaire (par les nominations successives), mais également l’éparpillement/le morcellement/le clivage de son être au sortir de cette expérience traumatique?

 

Camille Routier, Psychologue clinicienne

 

 

Le DVD du film est disponible au centre de documentation du CRIAVS Rhône-Alpes.

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