Lettre d´information n°3 - suite

Une utopie post-vacancière : un espace socio-sanitaire pour les AVS ? SUITE

Jeune majeur, l’auteur est décrit comme « psychiquement très déstructuré » et récidiviste pour des faits identiques. Ce jeune agresseur présente « des pulsions sexuelles » qui seraient soignées ? Qu’entend-on au juste par ce point précis ? Prise d’anti-androgènes ? Autres spécialités ? La justice amène ici une question d’importance : ce n’est pas le fait qu’il ait des pulsions sexuelles qui fait problème, (qui n’en a pas ?) mais le fait qu’il ne soit pas suffisamment équipé psychiquement pour en assurer une bonne régulation psychique. C’est ce qui a été compris par ce Procureur. Du reste, l’incarcération n’a pas été retenue par le tribunal, « il ne changera pas là-bas [en prison]» déclare le magistrat qui souligne que son cas relève plutôt d’une structure social-sanitaire qui actuellement n’existe pas à Lille. Pourtant ce jeune est en foyer où sont surveillées ses prises médicamenteuses, il a un contrôle judiciaire et une obligation de soins. Mais, car il y a un mais, cette agression s’est passée en août, temps vacanciers s’il en est, temps donc d’absence de professionnels sur le terrain et, par ce fait, temps qui peut être vécu comme un moment de flottement dans la prise en charge avec, pour ce type de jeune patient, un vécu pour le moins anxiogène et parfois d’abandon avec les risques de passage à l’acte afférents.


Bien sûr la lecture que je propose est une pure conjecture ne connaissant le dossier que par la presse, mais il me semble que ce cas soulève des questions auxquelles ces sujets, jeunes et moins jeunes, nous confrontent régulièrement. Avec les auteurs d’agressions sexuelles, dont la grande majorité est organisée psychiquement sur une modalité limite, la question de la continuité des soins est majeure. Ils ne sont pas équipés pour traiter pleinement l’absence. Cela suppose que, n’ayant pas intégré les éléments internes permettant de faire face à un manque, celui-ci est vécu comme un danger. Un danger d’être « laissé tombé », laissé pour compte dans une solitude à devoir traiter seul, ce pour quoi ils ne sont pas équipés pour le faire. Cela signifie qu’ils ne sont pas respectés dans leurs potentialités psychiques : « on leur en demande trop ». C’est bien du reste ce qu’ils font subir à leur jeune victime, comme une forme de figuration de ce qu’ils vivent eux-mêmes. Ils se trouvent alors en surcharge, ce qui ajoute à leur déstructuration pour reprendre le terme du Procureur. Cela voudrait-il dire qu’il faille supprimer les vacances ? La question, on s’en doute n’est pas là, mais peut-être, pour poursuivre celle du Procureur, quelle structure mettre en place pour de tels sujets, qui soit adaptée à leurs besoins ?


Il semble que, malgré les nombreux dispositifs dont nous disposions, aucun ne soit vraiment adapté à leurs cas. Ce qui a été fait à Lille c’est d’ajouter un éducateur de la PJJ en soutien pour « bien le cadrer ». Comment donc maintenir un cadre, coûte que coûte, qui soit continu dans le temps, tant qu’une évaluation clinique n’a pas indiqué que le sujet est capable de supporter un espacement dans le rythme de l’accompagnement ou une modification de l’encadrement ?


Cela ne peut être qu’un travail d’équipe. Une équipe pluridisciplinaire s’entend. Dans les conditions actuelles d’exercice, il ne semble pas que cela puisse uniquement relever d’une équipe de psychiatrie et cela pour au moins quatre raisons. La première est constituée par la pénurie de médecins et plus généralement de moyens. Les CMP sont surchargés et concentrent leurs actions sur une pathologie principale, la psychose (70% des PEC). La deuxième, qui vient soutenir la première, est que ces sujets auteurs de violences sexuelles, ne sont pas considérés, par nombre de psychiatres, comme relevant d’une pathologie ouvrant accès à un soin psychiatrique. La troisième tient aux effets psychiques engendrés par la thématique violente sexuelle du symptôme d’appel qui est souvent mal vécue par les équipes. Enfin, ces sujets sont souvent non demandeurs de soins, ce qui entre en collusion avec la résistance des équipes et participe d’une forme d’éviction d’une prise en charge.


Autant d’éléments qui rendent difficile la prise en charge en psychiatrie. Il s’agit cependant d’entendre ces raisons et résistances et de les intégrer à une réflexion qui puisse ne pas faire porter l’intégralité de ces soins sur les services de psychiatrie publique. En effet, nombre de ces sujets auteurs ne requièrent pas, dans un premier temps, des soins psychiques. Ils ont cependant, et souvent de manière urgente, besoin d’un cadre qui soit ferme et d’un accompagnement socio-éducatif présent, que ne peut souvent pas assurer une équipe psychiatrique. Du reste, c’est souvent au décours d’une telle prise en charge que, progressivement, le sujet pourra parvenir à élaborer son malaise interne ouvrant accès à une souffrance insue et pourra alors être accessible à un soin. Pour cela, il faut que, dans cet accompagnement le cadre tienne « coûte que coûte » pour éviter les reprises d’actions sexuelles violentes comme à Lille.


C’est là  que pourrait intervenir une prise en charge interinstitutionnelle qui reste à inventer pour les AVS judiciarisés. Elle aurait pour objectif de lier ponctuellement autour d’un cas, différents partenaires (et donc institutions mais certainement aussi des partenaires citoyens locaux comme les Comités Locaux de Santé Mentale) pour assurer la prise en charge la plus pertinente, avec pour contrainte première d’assurer un cadre continu dans le temps. Il s’agirait d’une sorte de travail en réseau sans l’infrastructure du réseau toujours coûteuse en personnel et en argent. Dans un tel espace, qui pourrait fonctionner sur la base de convention ponctuelle, l’équipe de psychiatrie n’interviendrait que lorsqu’un soin de ce type serait requis. Ici, les centres ressources pourraient être des partenaires pouvant repérer les sources et ressources d’une région pour, dans les cas qui les nécessitent, organiser ce type d’accompagnement thérapeutique pour les sujets sous main de justice, tout en assurant le travail logistique nécessaire à ces prises en charge, dont les supervisions.

André Ciavaldini, Responsable du CRIAVS Rhône-Alpes

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