Lettre d´info n°10 - Mai 2010 - Suite

« Les infiltrés », sourds et aveugles, images de notre société - Suite

Quand il s’agit d’enquête sur la maffia que se passe t-il pour le journaliste qui révèlerait ses sources  (voir le cas du journaliste Roberto Saviano) ? Mais tout cela a déjà été largement mis en débat dans la presse. Ce qui l’a moins été, et qui n’a été relevé par aucun des invités du plateau, pas plus que par la presse dans les nombreux articles dont a bénéficié l’émission, c’est ce qu’il en est vraiment de ces hommes que l’on nomme « prédateurs ». Personne n’a relevé ce fait qu’à peine dévoilé ces hommes se sont mis à parler leur pédophilie ou leur hébéphilie. Bien sûr dans un tout premier temps certains ont essayé d’échapper aux questions, mais rapidement ils parlent. Qui sur le plateau a remarqué l’indigence de vie de ces sujets ? Qui s’est étonné, en direct, de l’incompréhension que certains ont manifesté du fonctionnement social. Personne.

Tous les invités, psychiatre en tête, observaient ces hommes côté « prédateur » : des insectes épinglés. On taxonomisa comme au sortir du XIXè siècle. Nous avions affaire à des « manipulateurs, cyniques, pervers » (sic), mais nul ne s’avança, courageusement, à évoquer les processus qui mènent à la pédophilie, les relations précoces dysfonctionnelles, les histoires  infantiles abîmées, en bref la souffrance que ces hommes recèlent. Voilà pourquoi ils parlent si facilement : enfin quelqu’un les écoute, fut-ce un journaliste, alors « enfin » ils disent l’indicible, l’horreur certes, mais « enfin » celle-ci s’adresse à un tiers. Un tiers qui leur donne audience dans une civilisation où l’audience de l’autre disparaît au profit de celle de l’audimat. Mais tromperie il y a eu, l’audimat a maté, l’émission a fait grand bruit, on voyait en direct des « prédateurs » ! Certes redoutablement dangereux mais en même temps de « pauvres bougres » aurait-on dit autrefois. Des hommes isolés, coupés du monde pour certains, vivant seuls, parfois reclus sur eux-mêmes, confinés dans une misère sexuelle et psychique.

Si la violence sexuelle existe dans toute société c’est simplement, il faut le répéter encore et toujours, qu’elle fait partie intégrante de l’humain, la pédophilie comme le reste. C’est à coup de refoulement du champ sexuel et violent que nous avons instauré la civilisation. Ces hommes viennent nous dire ce qui nous échappe, pire ce qui pourrait nous échapper, tout général évêque ou  pape que l’on soit. Alors, épinglons-les, crucifions-les sur la croix de l’audimat, mieux vaut eux que nous. Mais ainsi faisant, nous oublions qu’ils nous disent quelque chose de notre fonctionnement social mais aussi psychique, d’un malaise humain que notre champ social parvient de moins en moins à traiter. La montée en puissance du sécuritaire est la marque de cet échec. Alors on préfère stigmatiser et…abuser car, et le débat médiatique porta à mots mouchetés sur ce thème, ces hommes furent abusés par les journalistes et même doublement puisque de surcroît ils furent dénoncés. Faudrait-il dire à abuseur, abuseur et demi ?
Ainsi, à l’instar de ces hommes qui sont sourds et aveugles à la souffrance qu’ils engendrent chez leurs victimes, l’équipe des Infiltrés fut sourde et aveugle à leur souffrance. Les journalistes devenaient donc de fidèles images de notre société qui, pour une grande part, reste sourde et aveugle à la souffrance sociale que véhiculent à leur insu les auteurs de violences sexuelles et qui n’est peut-être que celle que nous ne voulons pas voir, celle que secrète notre société.

 

André Ciavaldini

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