Par Pierre LAMOTHE
CRIAVS Rhône-Alpes, Responsable de la délégation de lyon

Face aux exigences de la justice et de l´opinion, les experts sont de plus en plus sollicités pour des expertises d´évaluation à visée pronostic dont, le moins qu´on puisse dire, est que leur argumentaire est régulièrement beaucoup plus léger et expéditif que celui des expertises de responsabilité.

Conventions et précautions se substituent à la discussion clinique, fermant parfois pour des années l´accès à la seule vraie prévention de la récidive qui ait formellement fait ses preuves : la confiance et l´aménagement de peine.

Les experts se confinent trop souvent dans un conformisme et une frilosité qui devient quasiment une culture, préjudiciable aussi bien aux agresseurs patients des prises en charge thérapeutiques qu´à la créativité et l´efficacité des techniques de soins elles-mêmes.

Trop souvent, l´expertise reste dans une tautologie de type "qui a bu boira" où la dangerosité future est démontrée par la dangerosité passée et retenue par défaut immuable au fil des années : il faut être un expert très courageux et audacieux pour oser être moins prudent que l´expert précédent et ne pas comme lui continuer à interpréter dans la perspective d´un aménagement de peine la dangerosité "par défaut" : s´il est bien sûr que l´absence de signe positif de dangerosité ne signifie pas l´absence de dangerosité, il est difficile d´interpréter cette absence comme inquiétante et un facteur de mauvais pronostic, ce que pourtant beaucoup d´entre nous font systématiquement.

Que l´erreur en la matière soit dramatique et qu´un juge ou un expert soit tourmenté d´une décision anticipée de retour à la liberté qui a pu conduire à la souffrance voire la mort d´une nouvelle victime, il n´en reste pas moins que la demande d´un principe de certitude et d´une invulnérabilité par rapport au comportement futur d´un agresseur sexuel, est à la fois impossible et désastreuse pour le travail avec l´immense majorité d´entre eux.

On rappellera d´abord que la prise en charge n´a pas forcément échoué parce qu´il y a eu récidive : le travail sur soi et l´approche des limites conduisent parfois à une rechute masochique ou autopunitive, confirmation ou prélude à la compréhension du sens d´un geste, peut-être incompréhensible sur le plan judiciaire, mais verrouillant pourtant solidement dans le futur la réitération d´un passage à l´acte !

Déni et dénégation sont classiquement des éléments cardinaux retenus par les experts ; or cette pierre de touche n´est que rarement nuancée sur le plan clinique. La distinction entre déni et dénégation est bien plus floue par rapport à la conscience et à l´inconscient qu´on ne le croit, et il est plus important de constater le déni partiel de celui qui ne reconnaît les faits que quand il est coincé par l´évidence que le déni massif de celui qui est dans l´impossibilité de se réconcilier avec lui-même en reconnaissant les faits. Par rapport au "dénieur en série" qui va discuter tel ou tel point de réalité, ou telle ou telle allégation de telle ou telle victime, le "dénieur narcissique" ne pourra pas se permettre de démontrer par une nouvelle agression qu´il était capable de la première !

Cela conduit aussi à dire que la gravité du geste initial n´est pas forcément un élément majeur par rapport à la récidive.

L´examen des faits et gestes doit prendre en compte le contexte pulsionnel et l´excitation du moment qui ont bien pu être "extraordinaires", alors que depuis longtemps au moment de l´examen, l´agresseur vit, dans l´ordinaire, moins d´intensité pulsionnelle et une bien meilleure capacité de maîtrise.

Une socialisation réussie chez les agresseurs libres s´avère d´ailleurs moins bon critère par rapport à la récidive si elle est formelle et "lisse", que l´existence d´intérêts et de motivation nouveaux et divers, même avec une intégration moins brillante ou plus précaire.

Si l´absence d´empathie vis-à-vis de la victime reste un critère inquiétant, c´est surtout par rapport à la symétrie alléguée entre son comportement et celui de l´auteur plutôt que dans la capacité de se mettre à sa place et de se représenter ses contenus psychique et sa souffrance. Ces éléments sont certes positifs quand ils sont présents, mais l´absence de capacité d´amour de soi amène bien souvent l´agresseur sexuel à abandonner aussi dans son discours la victime devant gérer à ses yeux la fatalité de son sort comme lui auteur gère le sien, sans que cela soit négatif vis-à-vis de la perspective de la récidive, alors que dans la nuance, les griefs à l´égard du comportement de la victime sont plus préoccupants : l´agresseur qui dit qu´il se tiendra à l´écart des enfants parce qu´il a compris maintenant qu´ils étaient dangereux, est évidement bien moins armé contre lui-même que celui qui a convenu de sa dangerosité !

D´une façon générale d´ailleurs, c´est le maintien de la position perverse (et non le maintien des caractères structurels de l´organisation perverse sur le plan psychodynamique), qui constitue un des facteurs critiques essentiels à discuter. Même lorsqu´il a reconnu les faits, l´auteur qui se maintient extérieur à lui-même et spectateur de son comportement, en demandant "qu´on lui explique pourquoi il a fait ce qu´il a fait", n’est pas dans une vraie demande d´aide et encore moins dans la recherche d´un contrôle internalisé qui le conduise à la "morale de situation" héritée d´un surmoi achevé. De même, celui qui convient de tout ce qu´on veut par rapport à ce qu´il a fait, mais se montre bavard, ergoteur et critique dans ce qui lui arrive après, demandant sans cesse que la loi soit intelligente et rationnelle, reste dans le risque de s´autoriser de lui-même pour agir par rapport à l´ineptie de la loi qu´il ne reconnaît en fait pas encore !

Au total, chaque expert peut avoir tiré de son expérience ou de sa propre absence d´empathie avec les auteurs d´agressions sexuelles quelque chose qui ressemble au mieux à des habitudes mais bien souvent à une doctrine et qu´il ne soumet que trop rarement à la critique de l´humilité et de la reconnaissance de sa subjectivité ou à la discussion, même virtuelle, avec autrui qui lui permette d´identifier ses croyances qui deviennent vite religion, voire rituels.

Pour que l´agresseur sexuel pervers redevienne vulnérable à l´autre, d´abord ne soyons pas plus pervers que lui, et sachons rester vulnérable à son discours et capable de prendre le risque de sa vie sans l´enfermer dans la vision mortifère de ce qu´il a fait.

Dans son dernier ouvrage « Violences sexuelles chez les mineurs, moins pénaliser, mieux prévenir » paru aux éditions In Press, André Ciavaldini  a colligé, repris  et mis en perspective les textes de spécialistes de l’enfance et de l’adolescence, universitaires,  professionnels de la santé,  des champ judiciaire et pénitentiaire, engagés auprès d’adolescents auteurs de violence sexuelle.

La Journée d’études sur les mineurs auteurs de violence sexuelle, organisée par le CRIAVS-RA, Centre Ressource « Claude Balier », que André Ciavaldini a créé et dirigeait alors, en février  2010, trouve ainsi  un écho magistral.  Ce travail éditorial important nourrit la réflexion sur   le sujet délicat des violences sexuelles  à l’adolescence, sises dans le processus adolescent, pour ces mineurs  encore « en devenir » .

La pertinence et l´apport qu´il représente, la qualité des intervenants et la conjonction des perspectives font de ce livre un ouvrage de référence.

André Ciavaldini est Docteur en psychologie clinique, Psychanalyste (Membre de la Société Psychanalytique de Paris – IPA), Président de l´´AGPSY (SPP - IPA)
Directeur de recherches. Laboratoire PCPP  "Psychologie clinique, Psychopathologie, Psychanalyse"  EA4056 Institut de Psychologie, Université Paris Descartes.

Un quart des auteurs de violences sexuelles sont des mineurs : viols, agressions sexuelles, atteinte aux moeurs. Comment endiguer cette violence adolescente ? Comment la contenir dans des dispositifs thérapeutiques et d’accompagnement ? L’actualité judiciaire avive encore ces questions. D’autant qu’en matière de juridiction des mineurs, des réformes tendent à renforcer le répressif au détriment de l’éducatif. Pourtant, le phénomène de violences sexuelles adolescentes est loin d’être nouveau, mais il tend à prendre de l’ampleur, à la fois socialement et dans nos imaginaires collectifs. Cette violence sexuelle à l’adolescence ne peut qu’interroger les cliniciens et les acteurs qui ont à prendre en charge cette jeune population. Trois sphères sont intéressées par cette prise en charge : le judiciaire, le social et le thérapeutique. Des universitaires, des professionnels de la Santé, du monde judicaire et pénitentiaire, tous spécialistes de l’enfance et de l’adolescence se sont réunis pour construire cet ouvrage. Ensemble, ils affirment la nécessité de maintenir une dimension thérapeutique et éducative forte. Comment comprendre la violence sexuelle adolescente ? Quel parcours judiciaire vont connaître ces jeunes ? Quelle est la valeur de la sanction à cette période de la vie ? Quel travail thérapeutique peut être proposé à ces jeunes ? Seule l’articulation des 3 sphères judiciaire, sociale et thérapeutique peut amener la prévention à prendre le pas sur la pénalisation. Un ouvrage qui permettra de trouver « matière à penser » là où certains de nos contemporains ne perçoivent que « matière à châtier ». [Résumé d´éditeur]   LES AUTEURS :  Nordine ABDERRAHMANE, Pierre ALLIBERT, Françoise ARPIN, Maurice BERGER, Marie CHOQUET, André CIAVALDINI, Sophie ELLIOT, Rym HABIBI, Marcel KLAJNBERG, Frédérique LAVÈZE-POMMIER, Herminie LECA, Odile NESTA-ENZINGER, Marie-Anouck PITEL-BUTTEZ, Édouard PRADEL, Patrick-Ange RAOULT, Pascal ROMAN, Vanessa SUGDEN.   Consulter le sommaire

En Partenariat avec l´Université Claude Bernard - Lyon 1

Cet enseignement a pour objectif d’apporter les connaissances approfondies et actualisées nécessaires à la compréhension, l’évaluation et la prise en charge des auteurs de violences sexuelles.

Il repose sur le principe d’une approche pluriaxiale : clinique, thérapeutique et éthique, mais aussi pénale et judiciaire.

Il s’adresse aux professionnels des secteurs de la Santé, de la Justice et du Travail social en proposant quatre modules, organisés chacun autour d’une thématique spécifique.

Il participe à la mise en place d’une base de connaissances commune et au développement de réseaux pour des professionnels, souvent isolés, confrontés à un domaine clinique encore en recherche.

Découvrir les modalités d´accès et d´inscription

Planning des modules

* Du 24/01/2013 au 26/01/2013 - Module n°1: Les violences sexuelles : approche judiciaire et positionnement clinique. Détails du module

* Du 07/03/2013 au 09/03/2013 - Module n°2 : Les auteurs de violences sexuelles : aspects cliniques . Détails du module

* Du 06/06/2013 au 08/06/2013 - Module n°3 : Approche évaluative et expertale. Détails du module
* Du 26/09/2013 au 28/09/2013 - Module n°4 : Approche thérapeutique. Détails du module

Nous sommes quelques professionnels viennois (PJJ, SPIP, CH L. Hussel, ADSEA38) à nous réunir depuis plusieurs années autour des questions concernant les auteurs de violences sexuelles à l’adolescence (AVS). Cette année, nous organisons avec l’aide du Centre Ressource pour les intervenants auprès d’AVS Rhône-Alpes (CRIAVS-RA), le 30 novembre, une journée d’étude sur ce thème.

Nous avons le plaisir de vous inviter à communiquer sur ce thème sous forme d’un exposé d’une vingtaine de minutes suivi d’un débat avec la salle de 20 minutes également. Il y aura trois communications.

N’hésitez pas à prendre contact avec nous avant le 28 juillet pour plus d’informations. Le comité scientifique fixera l’ordre du jour définitif fin aout, une réunion préparatoire réunissant les communiquants aura lieu le vendredi 14 septembre à 9h.

Consulter le programme, les objectifs de la journée

Soirées du CRIAVS Rhône-Alpes : Programme 2012

* Le 10/10/2012 - Soirées du CRIAVS - Délégation de Saint-Etienne : Violences sexuelles : mineurs, victimes ou agresseurs, une recherche clinique partagée avec Dominique FREMY, Pédopdychiatre, CH Novillars, Christian BOURG, Médecin psychiatre, Responsable de service, CH Novillars et Mme AYMONIER, Psychologue CH Novillars. En savoir plus.

* Le 18/10/2012 - Soirée du CRIAVS Rhône-Alpes - Délégation de Lyon : Du déni dans le recours à l’acte avec Odile VERSHOOT, Psychologue Clinicienne, CRAVS de Nantes, Présidente de l´ARTAAS. En Savoir plus.

Retrouvez le programme des soirées du CRIAVS Rhône-Alpes de Grenoble, Lyon et St-Étienne en ligne ici ou télécharger les en version PDF

Dans la région :

* Le 25/09/2012 - L´Appart / ALTHEA : Identification et prise en charge des victimes de la traite des êtres humains. En savoir plus

* Octobre 2012 : Association Passible : Offre de formation : La prise en charge des auteurs de violences conjugales

* Le 26/11/2012 - Solidarité Femmes : Harcèlement moral, harcèlement sexuel, obstacles à l’embauche et à l’évolution. En savoir plus

* Le 30/11/2012 - Appel à communication : auteurs de violences sexuelles à l´adolescence. En savoir plus

Autres évenements :

* Du 19/09/2012 au 20/09/2012 - 2èmes Journées Nationales de la recherche en milieu pénitentiaire : Santé et Justice. État des savoirs et des pratiques. En savoir plus

* Le 24/09/2012 - AISPAS : Prévention des agressions sexuelles à l’égard des enfants et des adolescents. En savoir plus

* Les sélections de l´été : Romans à découvrir en ligne

Claustria / Régis JAUFFRET ; Faute de preuves / Harlan COBEN ; Le garçon d´à côté / Katrina KITTLE ;     Lointain souvenir de la peau / Russell BANKS ...

Ces documents sont disponibles gratuitement - sous condition d´inscription préalable - à l´ensemble des professionnels de la région Rhône-Alpes sur place à grenoble en consultation ou en prêt. Ils peuvent égalements être envoyés par la poste.
Le centre de documentation du CRIAVS Rhône-Alpes répond à vos demandes documentaires et d´ouvrages par email, téléphone ou directement sur place sur RDV à Grenoble.

* Les dernières bibliographies thématiques réalisées par le centre de documentation :

- Les violences sexuelles dans le champ du travail social

- La prévention des violences sexuelles chez les mineurs

- La prise en charge clinique des mineurs auteurs de violences sexuelles

- La prise en charge judiciaire des mineurs auteurs de violences sexuelles

Ces bibliographies sont téléchargeables au format PDF  et consultables également via la base de données documentaire ThèséAS afin d´avoir accès aux sommaires et aux résumés des références citées.

* Presse : Les articles de presse repérés chaque semaine nationalement, sont référencés et disponibles en ligne ici

* Droit :

- Loi pénitentiaire : de la loi à la réalité de la vie carcérale. Rapport d´information de M. Jean-René LECERF et Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, fait au nom de la commission des lois et de la commission pour le contrôle de l´application des lois n° 629 (2011-2012) - 4 juillet 2012

- SÉNAT N° 639 - Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juillet 2012
PROPOSITION DE RÉSOLUTION PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L´ARTICLE 34-1 DE LA CONSTITUTION, relative à la politique de la France en matière de sécurité

- Harcèlement sexuel
12 juillet - Le Sénat a adopté le projet de loi relatif au harcèlement sexuel

* Au cinéma ce mois

Sortie du 04 juillet 2012 : Le Paradis perdu - Lire le synopsis

----

Pour retrouver de façon détaillée chaque semaine la revue de presse, les derniers articles, rapports et autres documents publiés sur la thématique des violences sexuelles, la veille médias ainsi que la veille juridique, abonnez-vous au bulletin documentaire national des CRIAVS ou consulter les derniers numéros.

 ----

Vous inscrire à la lettre d´information mensuelle du CRIAVS Rhône-Alpes