Par Pierre-Yves EMERAUD
CRIAVS Rhône-Alpes, délégation de Grenoble
Le 4 mai 2012 le Conseil constitutionnel décidait d´abroger la loi sur le harcèlement sexuel estimant que l´article du code pénal était rédigé de manière trop vague "sans que les éléments constitutifs de l´infraction soient suffisamment définis". Cette décision a résonné comme un passage à l´acte induisant tout d´un coup un vide juridique, suspendant toutes les procédures en cours, suscitant révolte, colère, indignation du côté des associations et des victimes.
La plus haute juridiction avait été saisie d´une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) contre cette loi, jugée inadaptée, par une alliance de circonstance d´intérêts pourtant opposés. En effet c´est l´association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AFVT) qui s´est associée à la QPC de l´avocat d´un élu local (personnalité connue des 4 membres du Conseil Constitutionnel) condamné pour avoir harcelé trois de ses subordonnées des services municipaux entre 2007 et 2009. Bien sûr l´association impliquée ne s´attendait pas à assister à un vide juridique pensant que le législateur s´accorderait un délai d´un an pour changer la loi comme dans le cas de la garde à vue.
Résultat : En pleine campagne électorale, les principaux candidats ont cru devoir s´engager à ce qu´un nouveau projet de loi sur le harcèlement sexuel soit rédigé et inscrit le plus rapidement possible à l´agenda parlementaire. Dès le nouveau gouvernement installé, la Ministre déléguée aux droits des Femmes, Mme Vallaud-Belkacem annonçait le 7 juin :
- Sa volonté de s´inspirer de la directive Européenne de 2002 définissant clairement l´incrimination dans la rédaction d´une nouvelle loi
- Son intention de créer un observatoire national sur les violences sexuelles pour la prévention de ces actes et l´accompagnement des victimes
- La transmission par le ministre de la justice d´une instruction au parquet pour qu´aucune affaire de harcèlement sexuel en cours ne reste impunie, au besoin en utilisant la procédure de requalification des plaintes
Après sept propositions du Sénat, passage au Conseil d´Etat, le 16 juin. un nouveau projet de loi était soumis en conseil des Ministres. Ce projet de loi prévoit deux formes de harcèlement sexuel avec des peines bien distinctes :
=> La première vise tout agissement consistant à "imposer à une personne de façon répétée, des gestes, propos ou tous autres actes à connotation sexuelle soit portant atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant soit créant pour elle un environnement intimidant, hostile ou offensant. Peine : 1 an de prison, 15000 euros d´amende.
=> La deuxième situation " est assimilée à un harcèlement sexuel, le fait mentionné dans le premier cas qui ,même en l´absence de répétition, s´accompagne d´ordres, de menaces, de contraintes ou de tout autre forme de pression grave accomplis dans le but réel ou apparent d´obtenir un relation sexuelle. Peine : 2 ans de prison et 30000 euros d´amende.
Les associations reconnaissent l´effort du gouvernement de couvrir le maximum de situations possibles de harcèlement sexuel tout en soulignant "la complexité du texte et son inapplication en l´état". Le gouvernement souhaite la promulgation de la nouvelle loi avant la fin de l´été tout en rappelant "sa perfectibilité".
Que retenir de cet imbroglio législatif accumulant décision soudaine, alliance objective contre nature, confusion, révolte et promulgation d´une nouvelle loi dans l´urgence ? ... Que la question des violences sexuelles sème vite la panique dans le corps social. Le précédent gouvernement nous avait déjà habitué à légiférer, à tour de bras, à chaque fait divers d´agression sexuelle. Pourtant la notion et la réalité des harcèlements sexuels (80 cas recensés par le judiciaire par an pour un nombre réel de faits certainement beaucoup plus important) mériteraient un examen plus serein, réfléchi et attentif. Pourquoi réclamer tant de précautions ? Parce qu´il s´agit dans cette affaire non seulement de définir un délit en qualifiant des faits mais, à travers ceux-là, d´interroger aussi notre société sur la définition de ses frontières : consentement et contrainte, séduction et manipulation, drague grossière appuyée et harcèlement sexuel, rapport libre en toute égalité et rapport contraint etc ...
Autant de limites que le corps social doit définir dans un champ relevant le plus souvent de l´intime, tout en préservant le savant équilibre entre les deux piliers de notre droit républicain, protection des personnes et respect des libertés individuelles. Le défi est réel et convoque toutes nos capacités à penser, tout le contraire du passage à l´acte et de la précipitation imposés par l´actualité..
Retrouvez les rapports du Sénat ainsi que la revue de presse quotidienne référençant les articles récents traitant du harcèlement sexuel