Éditorial par Dr Philippe VITTINI, Directeur de programme du CRIAVS Rhône-Alpes
Nous voilà en pleine période estivale, qui signe habituellement une pause dans le fourmillement des activités professionnelles de tout un chacun, et pourtant les semaines à venir ne seront pas de tout repos, tout comme celles passées depuis quelques mois .
Outre les tumultes médiatiques et autres revirements en tout genre qui mettent en péril un peu plus chaque jour la croyance qu’il existe de grands hommes pour porter des valeurs fondamentales (mais tellement de choses sont écrites à ce propos que cela donne le vertige), nous voilà en tant que professionnels de la santé psychique, convoqués pour se mettre en conformité avec la Loi dès le premier jour d’août.
Dans cet hexagone où nous étions adeptes jusqu’à en 1981 de raccourcir les condamnés sans que cette idée ne revienne de temps à autre hanter l’inconscient collectif, voilà une loi qui tombe comme un couperet sur la tête des professionnels concernés. Car cette réforme de la Loi du 27 juin 1990 (Loi n°90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d´hospitalisation dont la révision était initialement prévue dans les cinq années de sa promulgation), tant attendue par certains, et redoutée par d’autres, est désormais la loi du 5 juillet 2011 .
Il serait dogmatique de rejeter en bloc le principe d’une judiciarisation de la « détention » pour motif psychiatrique, tant il est vrai que le juge judiciaire reste le garant constitutionnel des libertés individuelles. Toutefois, nous sommes au cœur de paradoxes, voire même une ambivalence selon le référentiel utilisé.
Il est en même temps demandé aux psychiatres et aux professionnels de la santé psychique de protéger la société de cette dangerosité psychiatrique qui inquiète voire terrifie parfois, même si les études en ce sens sont loin d’être univoques quant à son importance en valeur absolue .
Certains journalistes ont d’ailleurs relevé avec surprise les hasards du calendrier de la publication du rapport "Dangerosité psychiatrique : étude et évaluation des facteurs de risque de violence hétéro-agressive chez les personnes ayant des troubles schizophréniques ou des troubles de l’humeur" publié par la HAS - validé en mars 2011, deux jours après la loi 5 juillet 2011, elle même faisant suite à l’affaire dite de Grenoble, dans laquelle un étudiant avait trouvé la mort.
Mais dans le même temps, cette confiance et cette charge attribuée aux professionnels du soin psychique comportent de longue date l’idée que nous puissions agir à l’encontre des patients, pour le moins en les privant de leur liberté d’aller et venir, voire peut-être se situer dans la toute puissance à leur égard.
Mon propos n’est certainement pas d’idéaliser la position soignante ; et l’immixtion du juge judiciaire, en lieu et place de la police administrative, peut rendre plus légitime la position soignante en la dégageant de la contrainte et potentiellement de cette toute puissance. Mais comment les juges, psychiatres, directeurs personnels hospitaliers vont-ils arriver à prendre en compte l’ensemble des attendus de cette loi complexe en vigueur dès le 1er août, moins d’un mois après sa promulgation au journal officiel ?
Comment appliquer cette Loi décisive dont la portée n’est probablement pas complètement mesurée, sans une préparation ad hoc en dehors de cette fameuse période estivale ? Mais il ne s’agit pas là d’une exception lorsqu’on regarde la modification des conditions de garde à vue qui pourrait mettre en péril certaines procédures …
Il n’en reste pas moins questionnant que certains de nos repères citoyens, ce qui fait notre croyance dans la dimension positive de l’humain, volent ainsi en éclat. Il s’agit de contrôler les médecins potentiellement corrompus par l’industrie pharmaceutique, les psychiatres et leur tentation liberticide, et même les magistrats dont les décisions devront associer les citoyens, dans un souci de bonne administration de la justice.
Alors si l’arrivé du juge judiciaire comme ordonnateur des mesures d’hospitalisation sous contrainte, à l’instar de nos collègues canadiens, ne peut être bannie en vertu du principe de réalité, il s’agit d’un véritable changement de paradigme dont il me semble difficile de prévoir les conséquences, contrairement à certains d’entre nous qui affirment prédire la dangerosité ( Faut-il supprimer les expertises de dangerosité ? in Revue de science criminelle et de droit pénal comparé ; janvier – mars 2011, p. 21).