Témoignage de psychiatres en intra/extra hospitalier, intra/extra carcéral

Quatre médecins psychiatres ont été interviewés : deux exercent en CMP, l’un d’entre eux en CMP et en milieu carcéral, le dernier en milieu carcéral. Leur ancienneté dans la profession va de 3 ans et demie à 39 ans et l’ancienneté dans la fonction de responsable de service de 3 ans et demie à 23 ans.


Trois d’entre eux ont débuté leur carrière de psychiatre après la promulgation de la loi du 18 juin 1998. Elle évoque pour certains la notion de soins sous contrainte judiciaire, pour d’autres, cette date spécifique n’évoque rien de particulier, car ces textes de loi, avec leurs incidences au niveau des soins, ne sont pas abordés lors des études de médecine. Elle évoque pour d’autres aussi l’apparition de la fonction du médecin coordonnateur, intermédiaire entre le soin et la justice dans le cadre de l’injonction de soin, avec les contours flous de cette fonction et des réponses très générales qui ne permettent pas d’identifier pleinement ce rôle.


La loi s’est imposée dans leurs pratiques lors de la rencontre de patients venant dans le cadre d’une injonction de soin.  Les psychiatres du service public ont toujours reçu des personnes avec des demandes d’attestation de suivis, même avant cette loi. Ce sont les patients concernés qui ont apporté quelques éléments sur ce dispositif, ensuite, il a été nécessaire de se renseigner sur la loi et de se former pour les soins. Ce dispositif de contrainte de soin dans le cadre thérapeutique médico-légal s’adresse à des personnes non demandeuses de soin, sans symptômes qui permettraient la démarche. Elles ne présentent pas de troubles liés à la pathologie mentale pour un grand nombre d’entre eux. Il a été nécessaire de s’adapter à une demande sociétale qui implique un soin à une personne non malade et de travailler avec le médecin coordonnateur en position d’interface avec la justice.


C’est aussi par l’appel d’offre pour être médecin coordonnateur auprès des médecins PH par l’autorité administrative, après sa promulgation, que cette loi a été découverte. Cependant, cette position n’est pas aisée à tenir par le manque de formation et la « position d’intermédiaire entre la justice et le soin pour permettre au soignant de rester dans la confidentialité semblait un peu inutile, comme médecin traitant qui ne disait pas son nom » et la « position quasi mais pas expertale » insatisfaisante.

Pour les médecins qui sont arrivés après la mise en place de la loi, cela n’a rien changé, institutionnellement parlant. Pour les autres, cette loi a permis d’installer de plein droit le soin aux AVS dans le champ sanitaire, tout en prenant en compte le rapport du sujet à la loi, au devoir de se soigner et aux risques à l’extérieur des déviances comportementales. Cependant, les moyens n’ont pas suivi et il a été nécessaire de créer les PFR qui ont un budget dédié. Cette prise en compte a permis de valoriser ce travail en institutionnalisant et en pérennisant ces types de soin.

Dans un CMP, ces patients sont reçus par la filière proposée à tous les patients en tenant compte de leur état clinique et ce sont les soignants qui déterminent la fréquence du soin. Ces suivis ont nécessité des formations, en particulier de techniques qui permettent une évaluation du risque, de suivre l’évolution dans le cadre médico-légal. Ces spécificités ont suscité l’intérêt d’intégrer la PFR car la psychiatrie ne doit pas se désintéresser des patients à la marge.  Il a été nécessaire de penser les certificats, par contre, en milieu carcéral, il n’y a pas d’attestation à fournir. Au sein de l’institution soignante, cela a permis d’identifier les professionnels et de dégager du temps pour les rencontres maillage-santé-justice-social proposées par le CRIAVS et le travail en lien direct avec l’ARS pour l’élaboration du cahier des charges des PFR.

Pour certains, les points forts sont le travail de collaboration avec l’ARS et la création du médecin coordonnateur et entre les PFR et le CRIAVS comme aide aux cliniciens et avec les rencontres de maillage santé-justice-social qui, malgré tout ne changent pas les relations santé-justice. Ce dispositif a permis un travail d’équipe pour ces prises en charge qui nécessitent de ne pas être seul pour ces types de suivi, en particulier face à des personnes perverses ou non demandeuses de soin et de recruter des professionnels formés. La loi a prévu que des psychologues puissent être traitants favorise les suivis face à la pénurie médicale. Ce dispositif a permis une perspective de soins parfois prometteuse à des patients porteurs d’une pathologie ou non conscients de leurs « déviances » ou et des dommages pour autrui. En milieu carcéral, des personnes viennent au soin pour les aménagements de peine, pour les violences subies en milieu carcéral à cause de la stigmatisation pour les actes qu’ils ont commis et ont besoin d’en parler.
Les points faibles se situent aussi au niveau des attentes du soin pour la justice avec en ligne de mire la prévention de la récidive alors que pour les soignants c’est une accroche ou pas au soin pour l’obligé. Certains experts ne recommandent pas le soin, mais le juge peut prononcer un soin malgré cette expertise. Or, le soin n’a pas une fonction magique avec une guérison par forceps. Les temps du soin et du judiciaire ne sont pas les mêmes avec une attente de la part de la justice de rencontres fréquentes entre le patient et les effecteurs de soin et en adéquation avec la personne pour les soignants.
Les points faibles sont au niveau des moyens médicaux insuffisants en lien avec la pénurie médicale et la difficulté de lien avec les secteurs de psychiatrie traditionnelle qui considèrent ces personnes par rapport à leurs actes sans considérer le diagnostic psychiatrique quand il existe. Ils se situent aussi au niveau de la fonction de médecin coordonnateur qui n’est pas suffisamment claire, en particulier au niveau de la confidentialité. Il est préférable d’interpeler le CRIAVS ou la PFR lors de problème avec un patient en permettant de parler au patient de sa responsabilité ainsi que de celle du médecin traitant.

Au niveau des ajustements qui seraient souhaitables, une certaine souplesse du dispositif pourrait permettre une appropriation progressive du soin par la personne. Certains patients poursuivent le soin après à la fin de la mesure lorsque la personne s’est investie dans le soin avec le temps.
Afin de permettre une proposition du soin sur tout le territoire avec la difficulté rencontrée par la psychiatrie adulte actuellement, des séances de psychothérapie avec un psychologue en libéral au plus près du domicile du patient pourraient être remboursées. Le CRIAVS qui pourrait faire un état des lieux des manques de lieux de soin. Ses missions de formation, d’espace expert et de réseau seraient une ressource pour ces professionnels libéraux.
Il serait intéressant, enfin, pour certains, de pouvoir lever ces obligations après argumentation pour les personnes qui ne relèvent pas du soin.

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